La découverte assez jouissive
de ces clichés (aux alentours de 1910 ?) dans un grenier m’a rappelé un
texte dont l’humour involontaire n’a pas manqué de m’arracher des rires.
Le hasard d'une flânerie matinale, sous un de ces fins
soleils d'octobre qui semblent les tardifs remords d'un été pluvieux, m'avait
conduit au pied de la colonne Vendôme. Je m'y arrêtai.
Etes-vous comme moi ? Celte
vaste et noble place est une de mes stations favorites. Je lui sais gré de nous
garder, dans le fourmillement
banal de la grande ville, un de ces coins d'intimité où le vrai Parisien se
sent spécialement chez lui... Hélas !
Elle n'en a plus pour
longtemps. Déjà les boutiques l’envahissent.
Et devant moi, aux lieu et
place du Crédit Mobilier, se dresse un hôtel cosmopolite qui industrialise ce
retrait de hautaine et séculaire élégance.
— Le vieux Paris s'en va !
pensai-je avec un soupir.
Et, comme je posais le pied
sur la chaussée pour reprendre ma promenade, un éclair d'acier me frôla. J'eus
un instinctif mouvement de recul. Derrière moi, un second éclair passa en sens
inverse.. Et je regardai, à droite et à gauche, filer les deux bicyclettes qui
avaient failli se croiser sur mon corps.
Sur le frémissement de
leurs roues silencieuses, leurs cavaliers s'évertuaient, fébriles et gigotants,
pareils à deux faucheux épileptiques. Et, devant cet échantillon de
l'équitation nouvelle, ma mélancolie s'aggrava du regret de l'ancienne qui,
elle aussi, s'en va.
Le cadre où je m'attardais,
sous la buée d'or dont le soleil baignait l'énorme fût de bronze, était propice
à cette rêverie. Je me rappelais, en effet, la vision qu'un autre matin, sur
celte même place, mon regard, fanatique de la beauté due à la double harmonie
des mouvements et des formes, s'était complu à savourer.
Devant la porte de
l’Etat-Major, un cavalier stationnait. La beauté du cheval me frappa. C'était
un superbe alezan, merveilleusement découplé, la tête noble, le poitrail
généreux, la jambe fine et nerveuse. Je m'approchai pour l'admirer.
L'animal, fatigué d'une
trop longue attente, hennissait de temps en temps, grattant du sabot le pavé
dur et sec. Le cavalier partageait sans doute l’impatience de sa bête, car,
tout d'un coup, il rassembla ses rênes et, d'une simple pression de jambes, lui
livra le champ. L'animal s'enleva, et, posant les quatre pieds sur le pavé de
bois qui entoure la colonne, il partit au galop.op.
…/…
Une école d’équitation
contre vingt vélodromes... La proportion n'est sans doute pas excessive.
Réhabilitons le cheval
comme correctif de la bicyclette. Il nous le faut pour compenser, par une
génération de cavaliers au corps droit et au regard ferme, une génération de
bossus hallucinés.
JOSEPH MONTET (préface)
(Le Sport en France et à l'étranger - Baron de Vaux1899)
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