jeudi 28 juin 2018

Avènement de la bicyclette...


La découverte assez jouissive de ces clichés (aux alentours de 1910 ?) dans un grenier m’a rappelé un texte dont l’humour involontaire n’a pas manqué de m’arracher des rires.




Le hasard d'une flânerie matinale, sous un de ces fins soleils d'octobre qui semblent les tardifs remords d'un été pluvieux, m'avait conduit au pied de la colonne Vendôme. Je m'y arrêtai.

Etes-vous comme moi ? Celte vaste et noble place est une de mes stations favorites. Je lui sais gré de nous garder, dans le fourmillement banal de la grande ville, un de ces coins d'intimité où le vrai Parisien se sent spécialement chez lui... Hélas !

Elle n'en a plus pour longtemps. Déjà les boutiques l’envahissent.

Et devant moi, aux lieu et place du Crédit Mobilier, se dresse un hôtel cosmopolite qui industrialise ce retrait de hautaine et séculaire élégance.

— Le vieux Paris s'en va ! pensai-je avec un soupir.

Et, comme je posais le pied sur la chaussée pour reprendre ma promenade, un éclair d'acier me frôla. J'eus un instinctif mouvement de recul. Derrière moi, un second éclair passa en sens inverse.. Et je regardai, à droite et à gauche, filer les deux bicyclettes qui avaient failli se croiser sur mon corps.

Sur le frémissement de leurs roues silencieuses, leurs cavaliers s'évertuaient, fébriles et gigotants, pareils à deux faucheux épileptiques. Et, devant cet échantillon de l'équitation nouvelle, ma mélancolie s'aggrava du regret de l'ancienne qui, elle aussi, s'en va.

Le cadre où je m'attardais, sous la buée d'or dont le soleil baignait l'énorme fût de bronze, était propice à cette rêverie. Je me rappelais, en effet, la vision qu'un autre matin, sur celte même place, mon regard, fanatique de la beauté due à la double harmonie des mouvements et des formes, s'était complu à savourer.

Devant la porte de l’Etat-Major, un cavalier stationnait. La beauté du cheval me frappa. C'était un superbe alezan, merveilleusement découplé, la tête noble, le poitrail généreux, la jambe fine et nerveuse. Je m'approchai pour l'admirer.

L'animal, fatigué d'une trop longue attente, hennissait de temps en temps, grattant du sabot le pavé dur et sec. Le cavalier partageait sans doute l’impatience de sa bête, car, tout d'un coup, il rassembla ses rênes et, d'une simple pression de jambes, lui livra le champ. L'animal s'enleva, et, posant les quatre pieds sur le pavé de bois qui entoure la colonne, il partit au galop.op.


…/…




Une école d’équitation contre vingt vélodromes... La proportion n'est sans doute pas excessive.

Réhabilitons le cheval comme correctif de la bicyclette. Il nous le faut pour compenser, par une génération de cavaliers au corps droit et au regard ferme, une génération de bossus hallucinés.


JOSEPH MONTET (préface)
(Le Sport en France et à l'étranger - Baron de Vaux1899)




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