LAURA
(Cassagnes, Gard, 1991)
Elle m’agace. Elle vient me tourner autour et me parler.
Elle sait pourtant que cela m’exaspère : j’ai horreur d’être dérangé quand
j’écris (j’écris des contes pour enfants qui ne sont jamais publiés.) Elle le
sait mais elle vient quand même. Elle s’inquiète de savoir ce que je veux
manger. Du saucisson, des nouilles ? Sont-ce des ingrédients à mettre au milieu
de ma littérature ? Voilà : voilà tout le respect que lui inspire ma prose, çà
fait plaisir ! J’explose et je l’envoie sur les roses.
Elle s’effondre en larmes sur le fauteuil bleu. Dieu
qu’elle est belle ma petite femme en pleurs ! Elle resplendit comme une fleur à
la rosée du matin. Son petit nez fripon palpite d’émotion, ses tendres joues
ont rosi et ses yeux verts brillent à l’eau triste des larmes. J’observe son
épaule nue, ronde et dorée, qui sursaute sous les sanglots, je la sais douce et
chaude comme d’un petit animal. C’est comme ses petits seins, ces deux mignons
dont chacun tient dans une main. Ma pauvre Laura chérie, si désirable !
Je pourrai la consoler, je l’aime après tout... Elle
souffre. Moi, je souffre de la voir souffrir, mais j’aime souffrir. Je ne
supporte pas d’être heureux. J’ai besoin de faire du mal aux gens que j’aime et
qui m’aiment, c’est pour moi une source de plaisir. En même temps, je ressens
la nécessité d’être aimé pour ce que je suis et même au-delà, d’où mon
comportement souvent abject. Je ne supporte pas ces amours langoureuses et
fades aux regards de bovins repus ; ces tripotages répugnants : tissus froissés
et chairs malaxées ! Non, non ! Je veux un ballet de regards enflammés ou
fiévreux, je veux de languides caresses en souffles sur la peau, je veux voir
le plaisir naître et mourir en artiste à force d’ébauches lentes à venir.
Je ne crois pas à la durée des sentiments, on aime souvent
une personne par attrait de la nouveauté, le temps fait là-dessus son œuvre...
Ou parfois, l’on décèle des qualités inconnues, mais l’habitude nous en
désintéresse. D’autres fois, l’on transpose sur l’être cher, des vertus qui ne
résistent pas à l’épreuve de la réalité.
Quand je courtisais Laura, je m'inquiétais déjà de la durée
de notre relation. J’imaginais malgré moi - alors que ma bouche jouait
tendrement avec la sienne - des scènes de rupture, des mots violents et
destructeurs. Je ne pouvais pas nous inventer un avenir heureux ou peut-être ne
le voulais-je pas... Par peur sans doute, de quitter les vieilles habitudes de
la douleur.
Ah ! Laura, tu me déchires à pleurer comme une enfant
sur ton fauteuil ! Je voudrais te consoler, te cajoler, te caresser, t’aimer
enfin ; je n’en ferai rien cependant, tu le sais bien, j’aime trop souffrir de
te voir souffrir.
Hier, en te faisant l’amour, j’ai franchi un palier : je
t’ai humilié pour m’humilier davantage encore. Je t’ai giflé, tordu les
poignets, pincé les seins, mordu les doigts ; la rage et le remords m’animaient
dans le même élan. Tu étais belle de surprise et de douleur contenue !
Pourtant, tu t’es prêtée au jeu de la soumission et je me suis retiré, écœuré.
Je t’aime Laura, je sais que tu le sais, mais cela ne
suffit pas, ça je le sais aussi. Tu attends que je te le dise, je sais que
c’est ma dernière chance de te garder. Tu sais aussi que je me tairai, que rien
ne me poussera sur les rives du bonheur que tu incarnes en cet instant, Laura.
Sans douleur, sans souffrance, je n’existe pas Laura, j’ai peur d’être heureux
Laura, de m’échapper, de ne plus être moi, le comprends-tu ?
Elle a dû comprendre.
Laura
s’est levée du fauteuil bleu, légère comme une fleur du soir, les joues encore
roses et les yeux délavés.
Laura
a cherché mon regard…
Elle
ne la pas trouvé.
Alors
Laura est partie.