A mes fidèles lecteurs, j'offre cet extrait de mon recueil de nouvelles intitulé "La Bête à bon diable" et dont il reste quelques exemplaires, disponibles au centre Leclerc de Château-Gontier (espace culturel), à la closerie de la Hérissière chez mon amie Soizic, ainsi qu'auprès de l'auteur...
POISON
J’ai porté à mes lèvres la bouteille dont l’étiquette rouge rappelle l’interdit. J’ai bu, avalé, dégluti le liquide infect. Allongé sur le dos, j’attends maintenant l’œuvre destructrice du poison. Mes yeux s’attachent d’un seul regard au plafond. O plafond tant de fois scruté où s’éternise une neige carbone! Plafond tout enduit de souvenirs ! Plafond de mes premiers pas délires ! Plafond opiacé ! Voilà mon dernier voyage sur les traces du passé, ma dernière caresse sur les cicatrices du plâtre, mon ultime ascension vers les auréoles...
C’est bon de savoir la fin proche. Exit les heures interminables de solitude, le quotidien sinistre, son pain et sa sueur. Assez d’ingurgiter des repas où l’ordinaire le dispute au médiocre ! Ras le bol de cette anatomie sans grâce, assujettie aux écoulements les plus sordides! Au panier, les traites, les factures et la peuplade morose des chiffres ! Adieu les casse-pieds au triomphe latent et les conseilleurs désargentés ! Je glousse de plaisir, à l’idée de quitter ces rivages brouillés de remugles, d’abandonner enfin ces contrées où s’épanchent les bla bla stériles.
J’attendais le moment propice depuis une semaine, guettant l’instant où je serais physiquement seul. Ma mère, l’unique compagnie tatillonne de mes jours étant sortie pour l’après-midi, je trouvai dans la salle de bain, le flacon maudit qui trônait sur le lavabo, hors des limites raisonnables de l’armoire à pharmacie. Hop ! Le contenu amer a rempli mon corps illico ! Pour n’éveiller aucun soupçon, j’ai fait disparaître le récipient de verre dans le vide-ordures. Quand ma mère rentrera, il sera trop tard : j’agoniserai sur ma couche ou je serai déjà mort. En attendant, je vis encore : l’effet n’est pas fulgurant. Certes, une chaleur a envahi mon ventre et ma tête me tourne un peu... Mais rien de violent, ni de désagréable. Par contre mon haleine sent bon, pour une fois. J’aimerais quand même sombrer plus vite dans les limbes ! J’analyse probablement trop la situation, je ne m’abandonne pas comme je le devrais aux ravages du toxique. Je décide de fermer les yeux. Mourir en dormant : le rêve de tant de gens ! Moi, au contraire, cela m’a toujours angoissé. Enfant, je mettais des heures à m’endormir, de peur de ne jamais me réveiller. Actuellement, je souhaiterais abréger ce passage de vie à trépas. Je redoute par-dessus tout, la souffrance. Mais la souffrance ne vient pas non plus. Mon nez me gratte : les contingences ridicules ne renoncent jamais ! Bon, je me gratte. A présent, il faut me concentrer sur ma respiration, la contrôler, apaiser mon corps, afin de l’amener tranquillement vers les derniers instants. C’est cela : calmer sa chair et calmer son esprit. L’osmose en quelque sorte. N’offrir au néant qu’une carcasse vide. Il ne faut plus que je pense, pourtant je pense c’est plus fort que moi. Comment arrêter le flot de réflexions quand la position s’y prête de manière si propice ?
Qui pleurera ma mort ? Ma mère : un peu. Fermez le ban. Ma disparition ne bouleversera pas l’ordre des choses, ne gênera pas la bonne marche d’une entreprise, ne fera parler personne. Cela m’ennuie, évidemment. Même mort, on est jaloux de son importance. Je ne suis pas important. Vivant comme décédé, je suis un zéro pointé. Je vais juste remplir un espace sous la terre, après avoir tenu si peu de place au-dessus. J’avais pourtant de grandes envolées oniriques, où la justice, la beauté et la bonté s’exprimaient poliment. La réalité a plaqué sa vérité dessus avec rage. Ce n’est pas grave, là où je vais, les songes n’ont plus leur place...
Je souhaiterais exprimer des remords, me raccrocher aux branches d’un vieux rêve, me convaincre de la viabilité de ce monde. Mais je ne connais pas l’ivresse d’une passion, n’ayant qu’un intérêt mesuré pour ce qui m’entoure ; je n’ai pas d’amis, tout juste quelques vagues connaissances ; de l’amour, je ne connais que les étreintes maladroites. Pourtant, si la porte s’ouvrait tout à coup, laissant déborder un groupe bruyant de camarades éméchés aux bras desquels je pourrais reconnaître d’anciennes conquêtes, j’éprouverais un mortel regret à délaisser ce semblant de vie.
Mais la porte ne s’ouvrira pas. Avec un peu de chance, je frapperai à celle de Saint-Pierre tout à l’heure.
La réaction de ce produit est terriblement longue, à force je vais attraper des escarres ! Je n’ai jamais eu de chance: pour moi, les choses prennent toujours une tournure inattendue ou bien compliquée ou alors le temps s’éternise. Y compris dans mes derniers instants, le sort s’acharne : non content d’avoir ma peau, il lui faut un supplément de misère. A ce rythme là, ma mère sera rentrée avant la fin, sans un atome de compassion elle s’empressera d’appeler le SAMU, trop heureuse de me ramener à cette boue d’existence où l’on s’enlise ! Je suis sa raison d’être, incapable semble-t-il d’exister par elle-même, ma mère se réalise à travers moi. Cette vie par procuration ne lui apporte pourtant que des déconvenues, mais elle ne renonce pas, elle mise toujours sur le même cheval... Oui, mais moi, je ne veux plus faire le cheval! Je glousse à présent, content de mes bons mots...
Enfin, je ressens des brûlures d’estomac et mes boyaux me gratifient d’un concert de gargouillis : les premiers signes de la lente destruction interne ! Il faudrait que mon sang se corrompe, que mes poumons s'encrassent, que mon cœur cesse de battre, que mon encéphalogramme s'aplatisse !
Je sens que le moment est venu de pardonner les offenses, de balayer les rancœurs, de regretter mes péchés, d’aimer un dieu éventuel, d’être humble...
Des larmes coulent le long de mes oreilles et dans mon cou, je me sens meilleur, rempli d’amour, mon âme tendue vers l’immensité de l’au-delà. J’observe à travers un brouillard, le plafond égal à lui-même, ultime horizon avant l’éternité...
Je sursaute: l’ampoule accrochée là-haut vient de s’allumer.
Ma mère surgie dans la pièce telle une harpie, me tire de ma somnolence ante mortem.
« - C’est toi qui as touché à ma bouteille de parfum ?
- Quel parfum ?
- Mon parfum ! La bouteille avec une étiquette rouge ! »
Je me tais de peur d’exhaler des senteurs de violettes révélatrices.
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