L’AVION
(Cassagnes, Gard, 1991)

    Un avion s’envole dans ma tête, son métal lance des éclats étourdissants, il vrombit au sein de ma migraine, s’offre un trou d’air dans ma mémoire, part en piqué sur mes tempes et se pose enfin quelque-part à l’insu de mes sens. Pas pour longtemps hélas ! Il décolle à nouveau et d’un looping ou d’une pirouette, martyrise un peu plus mon cerveau. J’en ai marre de ce crâne hanté par des songes hideux ou peuplé de tourments odieux !
    J’ai des phrases qui surgissent de nulle part et qui s’imposent pendant des semaines à ma conscience, comme un leitmotiv. En ce moment c’est : “They are trying to kill me” Pourquoi en anglais ? Pourquoi cette phrase aberrante ? Qui voudrait me tuer ? Je ne sais, pourtant l’obsessionnelle rengaine revient sans cesse dans ma tête en relais de l’avion, je la répète parfois à voix haute à la manière d’un automate. Je finis par ne plus lui trouver de sens, alors l’avion la ronronne dans son hélice argentée là-haut, sur les nuages de ma pensée.
    Si je pouvais feindre le bonheur, peut-être pourrais-je prétendre à une infime parcelle de joie ? Il y a tellement de gens qui font semblant et qui finissent par y croire...
    J’aimerais être un caillou, une vache, une cheminée, ou bien un homme ordinaire ; ne plus avoir de questions, vivre dans le confort de certitudes douillettes. J’aurai des exigences : je réclamerai une table bien garnie, des amis, plein de rires, des femmes à aimer, des enfants à élever, un aéroport, un hangar, une piste d’atterrissage...
    Mais non, je ne peux pas, je suis né avec un truc en trop ou en moins, je suis né avec un avion dans la tête.