LAURA
(Cassagnes, Gard, 1992)
Elle
m’agace. Elle vient me tourner autour et me parler. Elle sait pourtant que cela
m’exaspère : j’ai horreur d’être dérangé quand j’écris (j’écris des contes pour
enfants qui ne sont jamais publiés.) Elle le sait mais elle vient quand même.
Elle s’inquiète de savoir ce que je veux manger. Du saucisson, des nouilles ?
Sont-ce des ingrédients à mettre au milieu de ma littérature ? Voilà : voilà
tout le respect que lui inspire ma prose, çà fait plaisir ! J’explose et je
l’envoie sur les roses.
Elle s’effondre en larmes sur le
fauteuil bleu. Dieu qu’elle est belle ma petite femme en pleurs ! Elle
resplendit comme une fleur à la rosée du matin. Son petit nez fripon palpite
d’émotion, ses tendres joues ont rosi et ses yeux verts brillent à l’eau triste
des larmes. J’observe son épaule nue, ronde et dorée, qui sursaute sous les
sanglots, je la sais douce et chaude comme d’un petit animal. C’est comme ses
petits seins, ces deux mignons dont chacun tient dans une main. Ma pauvre Laura
chérie, si désirable !
Je pourrai la consoler, je l’aime après
tout... Elle souffre. Moi, je souffre de la voir souffrir, mais j’aime
souffrir. Je ne supporte pas d’être heureux. J’ai besoin de faire mal aux gens
que j’aime et qui m’aiment, c’est pour moi une source de plaisir. En même
temps, je ressens la nécessité d’être aimé pour ce que je suis et même au-delà,
d’où mon comportement souvent abject. Je ne supporte pas ces amours langoureuses
et fades aux regards de bovins repus ; ces tripotages répugnants : tissus
froissés et chairs malaxées ! Non, non ! Je veux un ballet de regards
enflammés ou fiévreux, je veux de languides caresses en souffles sur la peau,
je veux voir le plaisir naître et mourir en artiste à force d’ébauches lentes à
venir.
Je ne crois pas à la durée des
sentiments, on aime souvent une personne par attrait de la nouveauté, le temps
fait là-dessus son œuvre... Ou parfois, l’on décèle des qualités inconnues,
mais l’habitude nous en désintéresse. D’autres fois, l’on transpose sur l’être
cher, des vertus qui ne résistent pas à l’épreuve de la réalité.
Quand je courtisais Laura, je
m'inquiétais déjà de la durée de notre relation. J’imaginais malgré moi - alors
que ma bouche jouait tendrement avec la sienne - des scènes de rupture, des
mots violents et destructeurs. Je ne pouvais pas nous inventer un avenir
heureux ou peut-être ne le voulais-je pas... Par peur sans doute, de quitter
les vieilles habitudes de la douleur.
Ah, Laura, tu me déchires à pleurer
comme une enfant sur ton fauteuil ! Je voudrais te consoler, te cajoler, te
caresser, t’aimer enfin ; je n’en ferai rien cependant, tu le sais bien, j’aime
trop souffrir de te voir souffrir.
Hier, en te faisant l’amour, j’ai
franchi un palier : je t’ai humilié pour m’humilier davantage encore. Je t’ai
giflé, tordu les poignets, pincé les seins, mordu les doigts ; la rage et le
remords m’animaient dans le même élan. Tu étais belle de surprise et de douleur
contenue ! Pourtant, tu t’es prêtée au jeu de la soumission et je me suis
retiré, écœuré.
Je t’aime Laura, je sais que tu le
sais, mais cela ne suffit pas, çà je le sais aussi. Tu attends que je te le
dise, je sais que c’est ma dernière chance de te garder. Tu sais aussi que je
me tairai, que rien ne me poussera sur les rives du bonheur que tu incarnes en
cet instant, Laura. Sans douleur, sans souffrance, je n’existe pas Laura, j’ai
peur d’être heureux Laura, de m’échapper, de ne plus être moi, le comprends-tu
?
Elle a dû comprendre.
Laura s’est levée du fauteuil bleu, légère comme une
fleur du soir, les joues encore roses et les yeux délavés.
Laura a cherché mon regard…
Elle ne la pas trouvé.
Alors Laura est partie.
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