jeudi 28 avril 2011

Larry Goodman (suite et fin)

Bientôt onze heures ! Voici la fin de cet amusement de potache ou de gamin post-acnéique...
Les bras ballants, Larry regardait Betty disparaître au coin de la rue, au rythme saccadé de son joli derrière. Furieux de se laisser aller à de tels regards, Larry fit volte-face et s'engouffra à nouveau dans le bar en déclarant :
« Il est très bien ce bar, çà fait vingt ans que j'y viens ! Ce disant, il bouscula un travesti mal rasé et mal embouché.
- Elle est pas heureuse la pouffiasse, elle veut un deuxième trou de balle ? Demanda Larry avec une froide colère, en saisissant l'inverti par le cou tout en lui pointant son « 45 » sous le nez.
- Gargl ! Si ... si ... tout va bien, justement je sortais !
- C'est çà dégage ! Aboya Goodman en réexpédiant l'équivoque personnage à son commerce interlope sur les trottoirs d'infamies.
- Contrarié ? s'enquit le barman en servant le gin que Goodman avait commandé.
- Non John, j'ai un cor au doigt de pied et l'autre andouille a marché dessus !  Répondit Larry agacé... Et je n'ai pas besoin de sorcier ni de rebouteux ! »
John fit des yeux ronds d'étonnement puis s'éloigna à l'autre bout du comptoir en haussant les épaules et entama un spiritual au rythme entraînant.

*****

A l'hôtel Red Cushions, Betty lisait pour la sixième fois le même paragraphe du roman qui était entre ses mains, sans en comprendre la substance. Son esprit était ailleurs, dans l'errance et dans le doute. Elle s'était disputée avec la copine qui l'hébergeait, vue que cette dernière s'obstinait à l'entretenir d'ongles cassés, de lotions et de crèmes, quand Betty ne souhaitait qu'une chose : le repos. Bref, elle avait fini par craquer et s'emporter :
« Tes pots de crèmes : tu peux te les mettre où je pense ! »
Pour une fois, la copine sut lire dans les pensées de Betty et lui enjoignit de quitter les lieux sans délais, sous le flot de paroles dont nous abreuvent tous ces gens charitables, intarissables sur les bienfaits qu'ils prodiguent, mais qui ont un compteur à la place du cœur !
Betty pensa amèrement que son sort était désormais lié à la capacité de ce crétin de Goodman à ouvrir sa porte. Elle finit par s'endormir épuisée.
C'était dimanche, il était huit heures et Goodman émergeait avec peine d'un sommeil de brute qui ne voulait pas le lâcher. Il se traîna jusqu'à la cuisine pour ingurgiter deux aspirines avec un café de la veille réchauffé. En dépit d'un soleil matutinal, annonçant une belle journée, Larry se préparait sans entrain. Il se coupa l'aile du nez en se rasant, son humeur devint noire.
Il sortit vers neuf heures avec un sparadrap sur la narine gauche et une idée bien précise en tête. Il revint sur les coups de dix heures avec tout un bric à brac, qu'il déposa devant la porte de Betty Span. Il y avait là toutes sortes d'appareils de mesures que Larry installait fébrilement : un scanner, un oscilloscope... que sais-je encore ? (L'auteur avoue volontiers qu'il en connaît moins que Larry sur ce plan là !)
Goodman brancha ses différents appareils, tripota des tas de boutons, pris des notes, vérifia, recommença plusieurs fois : RIEN ! Pas d'ondes, ni de courants, pas de présences, ni de spectres : rien qu'une porte toute bête qui semblait narguer Larry !
        Goodman regarda sa montre : dans un quart d'heure Betty Span serait là. Vite, il rangea le matériel chez lui : cette écervelée n'avait pas besoin de savoir qu'il avait succombé au doute et à la superstition ! Il était temps : les pas de Betty se faisaient entendre dans l'escalier. Adossé au mur, Larry Goodman en profita pour prendre une pause décontractée. Betty apparut sur le palier affligée d'une mine tendue et sans maquillage. Pourtant, son teint frais dû à la jeunesse, la rendait désirable. Larry la trouva mignonne et se surprit à lui sourire en la saluant, s'en voulant aussitôt de tant de mièvreries !
« Bonjour monsieur Goodman, répondit Betty avec lassitude, voici les clés. »
Larry saisit les clés sans un mot, tout à sa concentration.
Voilà que çà recommençait ! Larry face à la porte, les clés à la main, ne pouvait esquisser aucun geste qui contribuerait à l'ouverture.
« Voyons : je vais lever ma main droite vers la serrure tranquillement. Se disait Larry dans sa tête. »
Sa main restait parfaitement inerte le long du corps.
« Essayons la main gauche sur la poignée... alors, quoi ? S'angoissait Goodman intérieurement. »
La main gauche n'obéissait pas plus. La plus grande confusion régnait à présent dans la tête de Larry. La folie était-elle en train de le gagner ? Il pouvait certes se gratter le nez, mais tout geste vers la porte lui était interdit, sa volonté était court-circuitée !
Pendant ce temps, Betty blêmissait de plus en plus, pétrifiée par la terreur. Les minutes bousculaient allègrement l'aiguille sur les horloges, sans que ni Goodman, ni Betty Span n'esquissent un geste positif. Les deux statues qu'étaient devenus Betty et Larry sursautèrent avec un bel ensemble. Betty eut même un charmant petit cri de souris. Harvey Dolley venait de surgir sur le palier sans bruit et d'une voix de stentor déclara :
        « Ah Patron, vous êtes là ? Tant mieux, j'étais inquiet. J'ai cherché à vous joindre : çà ne répondait pas ! C'est rapport à votre rendez-vous d'hier soir à dix-neuf heures. Vous n'y étiez pas : les gens n'étaient pas contents! (Apercevant Betty) Ah, bonjour mademoiselle Span, quel plaisir de vous rencontrer ! Alors cette porte : une formalité, n'est-ce pas ?
        - Vous tombez bien Harvey, dit Goodman d'un ton glacial en lui jetant les clés. Justement, on n'attendait plus que vous !
        - Ah, ah, ah ! Toujours blagueur ! Répliqua Harvey de très bonne humeur, en reluquant abondamment Betty qui le regardait bizarrement. Alors, voyons, voyons, laquelle est-ce ? Demanda-t-il jouant les devinettes. Ah, celle-ci peut-être ? Fit-il en minaudant et il s'approcha de la porte en faisant des effets de manches à la façon des prestidigitateurs. »
        Il semblait s'amuser beaucoup, au grand  désarroi de Betty et à la suprême exaspération de Larry qui observait son employé avec acuité : Il ferait moins le malin dans cinq secondes !
        « CLIC ! CLAC ! Et voilà mam'zelle ! Fit Harvey Dolley en ouvrant grand la porte sous les yeux ébahis de Betty qui, le premier moment de stupeur passé, lui sauta au cou et lui fit une grosse bise sur la joue. »
Elle le remerciait en long, en large et en travers. Harvey n'en revenait pas de tant d'effusion et se demandait s'il n'avait pas fait la touche de sa vie. 
« Excusez-moi, dit la jeune femme qui retrouvait des couleurs, en dépit d'une mine « épouvantable » (comme disent les  jeunes personnes inconséquentes qui ignorent les affres de l'âge) je rentre à présent, j'ai plein de choses à faire. »
La porte claqua joyeusement sur la demoiselle pulpeuse.
Harvey regardait la porte de cet air niais dont s'affligent si bien les amoureux. Larry quant à lui, s'était assis sur son paillasson et observait Harvey, puis la porte, tour à tour. Sa bouche était grande ouverte, comme pour aérer un esprit passablement enfumé.
Betty rouvrit la porte pour glisser perfidement à ce pauvre Larry :
« Ah, au fait : çà tient toujours l'acte gratuit ?
        - Bien sur ... bien sûr... répondit Larry anéanti.
        - Parfait ! Et merci encore Harvey ! puis elle ferma la porte.
        - Mais ... qu'est-ce que ça veut dire ? Interrogea Harvey Dolley, suspicieux et bêtement jaloux.
Larry Goodman se dressa d'un bond et piqua une grosse colère, venue du tréfonds de ses entrailles. Toutes les frustrations, toutes les vexations, toutes les rancœurs, tout l'orgueil contenus en lui explosaient et se déversaient telle la lave d'un volcan en éruption sur Harvey qui préféra s'enfuir, horrifié.
« C'est vrai quoi, pensa tout haut Larry, resté seul et calmé, cet obsédé ne pense qu'à çà ! Comme si le sexe était une porte essentielle ! Voilà que je fais une fixation sur les portes à présent ! »
Larry se retourna, fouilla dans ses poches et trouva ses clés. Il était épuisé. Aussitôt rentré, il piquerait un de ces roupillons !
Mais Goodman resta pétrifié. Sa main qui tenait les clés ne voulait plus bouger. Il voulut faire un pas vers l'avant, il ne pouvait pas. Une trouille irraisonnée le saisit. Il recula affolé, les yeux exorbités, puis s'enfuit en dévalant les escaliers à toutes enjambées.
« Harvey, Harvey, revenez ! »

FIN

1 commentaire:

  1. Merci à vous de nous avoir fait partager jusqu'au bout les aventures de Larry. Les commentaires ne fusent pas mais le plus important n'est-il pas vos textes sur ce blog?

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