Il y a les tyrans que l’on voit parfois tomber à la télévision et il y a les salauds ordinaires que l’on côtoie inévitablement au cours de sa vie. J’ai vécu ce drame où l’on accuse à tort un enfant innocent, j’étais en quelque sorte son avocat. L’enseignant se croyait investi d’une sorte de pouvoir céleste, persuadé que ses élèves, sous sa houlette, étaient incapables de céder au mal. Le mal ne pouvait venir que du collège voisin où ses anciennes brebis devenaient tout à coup galeuses. Le véritable coupable sévissait bien dans la classe de cet enseignant puisqu’il a été pris l’année suivante. Certes, dans mon texte j’ai dramatisé la fin, mais c’était pour mieux illustrer ma colère à l’égard de ces adultes qui exigent des excuses et n’en font jamais aux autres.
En effet, jamais le pauvre Laurent n’a eu droit à un mot pour le blanchir ou pour lui demander simplement pardon.
En effet, jamais le pauvre Laurent n’a eu droit à un mot pour le blanchir ou pour lui demander simplement pardon.
Un peu plus tard, l’enseignant a brigué une place au conseil municipal et a été élu...
LE VOL DE L’ANGE
(collège de Génolhac, Gard, 1993)
(collège de Génolhac, Gard, 1993)
J’ai treize ans depuis le 4 mai dernier, mais ça m’agace : je ressemble encore à un gosse. C’est pas sérieux, quoi ! Je pense aux filles et tout, mais j’ai encore une petite voix et pas de poils où je pense ! En plus, je suis petit. Remarque : ça ne m’empêche pas de plaire aux nanas. Au cinéma, Lucie, elle voulait que je la pelote. J’ai pas voulu. Ça ne me disait rien, faut dire qu’il n’y a pas grand chose à toucher... En plus j’avais une glace à la main.
Autrement, je crois que je suis plutôt mignon, y’a même parfois des regards d’adultes qui me mettent mal à l’aise. Y’a comme du désir dans leurs yeux, ça me dégoûte. En même temps ça m’excite un peu... je ne sais pas pourquoi les choses dégoûtantes de ce genre me plaisent... d’une certaine façon, c’est comme les chiens qui bouffent la merde !
Evidemment, il y a le collège... toutes ces matières qui ne servent à rien, les profs chiants comme la pluie... et encore la pluie c’est joli. Il y a le pion plutôt cool et drôlement balèze au ping-pong (je ne l’ai encore jamais battu, c’est dire !) Surtout, il y a les copains, les potes quoi ! Sans lesquels le collège ne serait qu’un musée de bavardages.
Mes parents ont divorcé il y a quatre ans, Je vis avec maman et ma grande sœur. Papa, il est à la colle avec une nana, jamais la même ; apparemment il a du mal à choisir. Je le vois certains week-ends et pour les vacances. Maman s’est recasée avec un gars sur lequel y a rien à dire. Moi, je ressens tout çà un peu comme une trahison, je trouve que l’affection en prend un coup dans l’histoire : elle se disperse... du coup, je me renferme sur moi, je ne suis pas souvent à la maison, je fais quelques bêtises... mais rien de méchant. Je ne suis pas quelqu’un de méchant, j’ai trop besoin qu’on m’aime, je ne peux pas décevoir.
Voilà Barjo qui vient vers moi, ça ne m’arrange pas : il ne m’aime pas et c’est plutôt réciproque. C’était mon instit’ il y a deux ans, ça n’a jamais accroché entre nous, il est pas direct, ça me tue !
« - Bonjour Laurent, tu tombes bien, je voulais te parler !
(Tu parles, il devait me chercher !)
- Bonjour Monsieur Fargeaud... (Barjo, c’est son surnom bien sûr !)
- Suis-moi à l’école... ton ancienne école, tu te souviens ? J’ai quelque chose à te montrer. »
J’aime pas son ton ; ça sent l’embrouille, il est pas naturel... est-ce qu’il sait seulement être naturel ce gars là ? Bon, je le suis : je n’ai pas le choix.
Nous voilà à mon ancienne école : comme tout me paraît étriqué ! Pourtant, rien n’a vraiment changé à part les dessins sur les murs (accrochés, les dessins : pas des tags !) L’atmosphère ici me rend malheureux, les souvenirs sont trop médiocres...
« - Laurent, si je t’ai fait venir ici, c’est que je pense que tu as sûrement quelque chose à me dire... »
Qu’est-ce qu’il me fait là, c’est lui qui devait me montrer un truc, soi-disant !
« - Je vais t’aider un peu : hier soir par exemple, que faisais-tu ?
- Ça dépend de l’heure... (il m’emmerde !)
- Ne commence pas, tu veux ? Le plus malin de nous deux, ce n’est pas toi ! Hier soir, quand il faisait noir : tu vois ce que je veux dire ? »
J’ai envie de rigoler parce que je pense à des trucs cochons. Il n’a pas besoin de savoir ce que je fais le soir, ni même le reste du temps, c’est pas ses oignons sans blague ! Après souper, j’ai fait une partie de boules sur la place. Ensuite Tommy, un copain plus âgé m’a payé une bière : normal, j’avais gagné. On a discuté un moment de nos problèmes, de nos rêves, des filles... puis j’ai fait un tour à vélo seul à travers le village, c’était chouette : les rues étaient désertes et à peine éclairées ! J’ai dû rentrer vers minuit.
« - J’ai regardé le film à la télé, je réponds finalement à Barjo.
- Arrête de mentir tu veux ? Je t’ai vu rôder sur ton vélo à presque minuit, à une heure où les enfants de ton âge devraient être couchés ! Tu ferais mieux de dire la vérité, cela simplifierait les choses.
J’ai des larmes qui me montent aux yeux, j’en ai marre, c’est pas le moment de perdre la face ! J’ai rien fait quoi, merde ! Il m’attire par la manche dans sa classe.
Et çà, tu reconnais, dis, tu reconnais ?
Evidemment que je reconnais : c’est la boîte en fer dans laquelle on mettait les sous de la coopérative. Les bénéfices du journal scolaire, de la vente des brioches et d’autres trucs, finissaient là-dedans. Je fais oui de la tête.
- Bien. Et tu sais ce qu’il y a dedans?
Il me prend pour un débile ou quoi ? Je suis un ancien élève de CM2, c’est pas pour autant que j’aie attrapé la maladie d’alzheimer ! (C’est une maladie où on oublie plein de trucs, j’ai une grand-mère comme ça).
- Ben oui : des sous !
- Il y avait, AVAIT, des sous comme tu dis. De l’argent que les CM1 et CM2 avaient glané pièce par pièce. Le fruit d’un effort commun en vue de s’offrir une sortie dont tous se réjouissaient ! Regarde la boîte : elle est vide, VIDE ! Alors dis-moi la vérité maintenant ! »
C’est comme si j’avais pris un coup de poing dans le ventre, j’ai la douleur des fois où je suis triste, je retiens les larmes qui viennent de partout. Il m’accuse ma parole, alors que je n’ai rien fait !
- C’est pas moi !
- Ne t’enfonce pas dans le mensonge Laurent. Dis la vérité, on pardonnera ce qu’il y a à pardonner.
- Mais puisque c’est pas moi !
- Si, je sais que c’est toi, comme je sais que tu as fait du vélo hier soir !
- Pour le vélo, c’est vrai, mais j’ai pas volé l’argent !
- Tu as avoué le premier mensonge. C’est le premier pas qui compte. Pour le vol, c’est plus difficile, je comprends... il suffira que tu rapportes l’argent... cela restera entre nous...
Il me parle avec une voix doucereuse, comme s’il voulait me vendre sa camelote ! J’ai horreur de çà !
- Mais je ne l’ai pas l’argent ! C’est pas moi qui ai fait le coup !
- « Fait le coup » : c’est bien un langage de voyou ! Pas de chance Laurent, j’ai une preuve.
Il sort ma montre de sa poche, merde : ma montre ! Elle n’est plus à mon poignet dis donc, j’en reviens pas : je ne m’en étais pas aperçu !
- Ma montre !
- Ta montre. Oui, Laurent. Tu sais où je l’ai trouvée ?
(Ben non, il ne me semblait pas l’avoir perdue) !
- Devant la fenêtre de la classe ; celle qui était restée ouverte cette nuit. Qu’est-ce que tu en dis ?
- J’sais pas moi !
- Elle n’est pas venue toute seule quand même !
- J’ai dû la perdre...
- Tu ne t’en étais pas rendu compte ?
- Non...
- C’est comme pour la caisse en somme : pas vu, pas pris !
- Mais je vous jure que ce n’est pas moi !
- Tu m’agaces Laurent, je te laisse jusqu’à ce soir pour me rapporter l’argent ; si tu ne te décides pas, j’irais porter plainte à la gendarmerie. J’ai toujours pensé que tu tournerais mal. Allez, file, hors de ma vue petit voleur ! »
Je file comme il dit. J’ai mon cœur qui bat à grands coups dans ma poitrine. Je n’ai plus de pensée dans la tête, tellement ça se bouscule. Je vais m’enfermer dans les chiottes du collège, à l’abri des regards et je pleure, et je pleure ; je me demande si ça s’arrêtera tellement je suis triste ! Je ne suis pas un voleur ! Si je pouvais, je le tuerais ce salaud, de penser ça ! Il m’aime pas ce type, j’sais pas pourquoi : je lui ai rien fait ! Une fois, devant toute la classe, il a prédit que je finirai voyou. Je ne vois pas pourquoi je ne serais pas un type bien ? Qu’est-ce qu’il y a de si mauvais en moi ? Je sais bien que je n’ai rien fait, je n’ai jamais volé, même dans le sac de maman... pourtant, je pourrais... je demande quand j’ai besoin de sous, et puis j’ai mon argent de poche. Oui, mais il y a ma montre qui m’accuse et Barjo qui tient à ce que ce soit moi, et les gendarmes qui me font peur. Les gendarmes qui vont venir à la maison embêter maman. Maman qui me fait confiance, maman qui me défendra quoiqu’il arrive... maman qui aura peut-être un doute, vu qu’il n’y a que ma parole... la parole d’un gosse cela ne pèse pas lourd, je le sais bien, face aux adultes, face à Barjo, face aux gendarmes. Il y aura toujours cette petite blessure quelque part entre nous... j’aurai beau jurer sur la tête de tous ceux que j’aime, j’aurai beau pleurer... ma parole vaudra pas cher... la parole d’un gamin de treize ans contre celle d’un enseignant... Faut que je rapporte du fric, même si j’ai pas volé, sinon les gendarmes vont venir à la maison et tout le village le saura et tout le monde me montrera du doigt ! Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ?
Je traverse la place à l’ombre des arbres. Il doit être quatre heures : l’heure du goûter pour les petits et de la fin de la sieste pour les vieux. Il y a des joueurs de boules qui «s’engrènent» à propos d’un point, il y a des gens qui consomment à la terrasse du café, il y a mon cœur qui donne de grands coups dans ma poitrine.
Je croise Martin, Jocelyn et Karim dans la rue qui monte vers chez moi. Je dis « Salut ! » Karim est le seul à me répondre. Les deux autres me regardent comme si j’étais un martien, ils semblent gênés. Je continue mon chemin en haussant les épaules. Je les entends qui chuchotent. J’entends le mot « voleur ». J’entends mon cœur qui bat. Le Barjo a fait ma pub, je ne suis plus Laurent le petit mec sympa, je suis Laurent le sale petit voleur ! Je pleure de rage, je marche à toute vitesse vers la maison pour échapper à tous ces yeux, à toutes ces langues, qui se trompent si facilement sur mon compte ! Demain jeudi, tout le monde saura. Je n’aurai plus de nom, je ne serai plus qu’un voleur !
Je rentre à la maison. Il n’y a personne. Dans la chambre des parents, il y a un tiroir. A l’intérieur, sous le linge, il y a une boîte sombre. Parfois, il suffit de chercher. Parfois les choses sont si simples. Le Barjo aura ce qu’il désire ce soir ! J’emballe vite fait mon larcin dans une taie d’oreiller qui sent bon la lavande.
D’un coup de vélo - surtout que ça descend - me voilà de retour à l’école. Par la fenêtre, j’aperçois le Barjo dans la classe. Il n’est pas seul : il y a les gendarmes. Le salaud, il n’a pas perdu de temps ! C’est sans importance : je détiens la réponse. Comme dans un film au ralenti, j'entre dans la pièce ; personne ne me voit : ils sont trop occupés à discuter. Leurs voix bourdonnent dans mes oreilles, je ne comprends pas ce qu’ils disent, je suis ailleurs... Me voilà au milieu de la salle et j’attends. Les paroles se sont tues, les deux gendarmes et Barjo me regardent. Je déballe mon paquet. Le linge blanc tombe à terre dans un souffle odorant. Ils m’observent, la bouche ouverte, sans rien dire. Je me dis :
«Que c’est beau, le silence ! »
Dans ma main, je tiens l’objet noir et lourd. Bientôt il est contre ma tempe.
J’entends des cris de stupeur et puis j’entends mon cœur qui bat.
Je pense à tous ceux que j’aime et puis il y a ce sacré boucan qui explose dans ma tête.
Autrement, je crois que je suis plutôt mignon, y’a même parfois des regards d’adultes qui me mettent mal à l’aise. Y’a comme du désir dans leurs yeux, ça me dégoûte. En même temps ça m’excite un peu... je ne sais pas pourquoi les choses dégoûtantes de ce genre me plaisent... d’une certaine façon, c’est comme les chiens qui bouffent la merde !
Evidemment, il y a le collège... toutes ces matières qui ne servent à rien, les profs chiants comme la pluie... et encore la pluie c’est joli. Il y a le pion plutôt cool et drôlement balèze au ping-pong (je ne l’ai encore jamais battu, c’est dire !) Surtout, il y a les copains, les potes quoi ! Sans lesquels le collège ne serait qu’un musée de bavardages.
Mes parents ont divorcé il y a quatre ans, Je vis avec maman et ma grande sœur. Papa, il est à la colle avec une nana, jamais la même ; apparemment il a du mal à choisir. Je le vois certains week-ends et pour les vacances. Maman s’est recasée avec un gars sur lequel y a rien à dire. Moi, je ressens tout çà un peu comme une trahison, je trouve que l’affection en prend un coup dans l’histoire : elle se disperse... du coup, je me renferme sur moi, je ne suis pas souvent à la maison, je fais quelques bêtises... mais rien de méchant. Je ne suis pas quelqu’un de méchant, j’ai trop besoin qu’on m’aime, je ne peux pas décevoir.
Voilà Barjo qui vient vers moi, ça ne m’arrange pas : il ne m’aime pas et c’est plutôt réciproque. C’était mon instit’ il y a deux ans, ça n’a jamais accroché entre nous, il est pas direct, ça me tue !
« - Bonjour Laurent, tu tombes bien, je voulais te parler !
(Tu parles, il devait me chercher !)
- Bonjour Monsieur Fargeaud... (Barjo, c’est son surnom bien sûr !)
- Suis-moi à l’école... ton ancienne école, tu te souviens ? J’ai quelque chose à te montrer. »
J’aime pas son ton ; ça sent l’embrouille, il est pas naturel... est-ce qu’il sait seulement être naturel ce gars là ? Bon, je le suis : je n’ai pas le choix.
Nous voilà à mon ancienne école : comme tout me paraît étriqué ! Pourtant, rien n’a vraiment changé à part les dessins sur les murs (accrochés, les dessins : pas des tags !) L’atmosphère ici me rend malheureux, les souvenirs sont trop médiocres...
« - Laurent, si je t’ai fait venir ici, c’est que je pense que tu as sûrement quelque chose à me dire... »
Qu’est-ce qu’il me fait là, c’est lui qui devait me montrer un truc, soi-disant !
« - Je vais t’aider un peu : hier soir par exemple, que faisais-tu ?
- Ça dépend de l’heure... (il m’emmerde !)
- Ne commence pas, tu veux ? Le plus malin de nous deux, ce n’est pas toi ! Hier soir, quand il faisait noir : tu vois ce que je veux dire ? »
J’ai envie de rigoler parce que je pense à des trucs cochons. Il n’a pas besoin de savoir ce que je fais le soir, ni même le reste du temps, c’est pas ses oignons sans blague ! Après souper, j’ai fait une partie de boules sur la place. Ensuite Tommy, un copain plus âgé m’a payé une bière : normal, j’avais gagné. On a discuté un moment de nos problèmes, de nos rêves, des filles... puis j’ai fait un tour à vélo seul à travers le village, c’était chouette : les rues étaient désertes et à peine éclairées ! J’ai dû rentrer vers minuit.
« - J’ai regardé le film à la télé, je réponds finalement à Barjo.
- Arrête de mentir tu veux ? Je t’ai vu rôder sur ton vélo à presque minuit, à une heure où les enfants de ton âge devraient être couchés ! Tu ferais mieux de dire la vérité, cela simplifierait les choses.
J’ai des larmes qui me montent aux yeux, j’en ai marre, c’est pas le moment de perdre la face ! J’ai rien fait quoi, merde ! Il m’attire par la manche dans sa classe.
Et çà, tu reconnais, dis, tu reconnais ?
Evidemment que je reconnais : c’est la boîte en fer dans laquelle on mettait les sous de la coopérative. Les bénéfices du journal scolaire, de la vente des brioches et d’autres trucs, finissaient là-dedans. Je fais oui de la tête.
- Bien. Et tu sais ce qu’il y a dedans?
Il me prend pour un débile ou quoi ? Je suis un ancien élève de CM2, c’est pas pour autant que j’aie attrapé la maladie d’alzheimer ! (C’est une maladie où on oublie plein de trucs, j’ai une grand-mère comme ça).
- Ben oui : des sous !
- Il y avait, AVAIT, des sous comme tu dis. De l’argent que les CM1 et CM2 avaient glané pièce par pièce. Le fruit d’un effort commun en vue de s’offrir une sortie dont tous se réjouissaient ! Regarde la boîte : elle est vide, VIDE ! Alors dis-moi la vérité maintenant ! »
C’est comme si j’avais pris un coup de poing dans le ventre, j’ai la douleur des fois où je suis triste, je retiens les larmes qui viennent de partout. Il m’accuse ma parole, alors que je n’ai rien fait !
- C’est pas moi !
- Ne t’enfonce pas dans le mensonge Laurent. Dis la vérité, on pardonnera ce qu’il y a à pardonner.
- Mais puisque c’est pas moi !
- Si, je sais que c’est toi, comme je sais que tu as fait du vélo hier soir !
- Pour le vélo, c’est vrai, mais j’ai pas volé l’argent !
- Tu as avoué le premier mensonge. C’est le premier pas qui compte. Pour le vol, c’est plus difficile, je comprends... il suffira que tu rapportes l’argent... cela restera entre nous...
Il me parle avec une voix doucereuse, comme s’il voulait me vendre sa camelote ! J’ai horreur de çà !
- Mais je ne l’ai pas l’argent ! C’est pas moi qui ai fait le coup !
- « Fait le coup » : c’est bien un langage de voyou ! Pas de chance Laurent, j’ai une preuve.
Il sort ma montre de sa poche, merde : ma montre ! Elle n’est plus à mon poignet dis donc, j’en reviens pas : je ne m’en étais pas aperçu !
- Ma montre !
- Ta montre. Oui, Laurent. Tu sais où je l’ai trouvée ?
(Ben non, il ne me semblait pas l’avoir perdue) !
- Devant la fenêtre de la classe ; celle qui était restée ouverte cette nuit. Qu’est-ce que tu en dis ?
- J’sais pas moi !
- Elle n’est pas venue toute seule quand même !
- J’ai dû la perdre...
- Tu ne t’en étais pas rendu compte ?
- Non...
- C’est comme pour la caisse en somme : pas vu, pas pris !
- Mais je vous jure que ce n’est pas moi !
- Tu m’agaces Laurent, je te laisse jusqu’à ce soir pour me rapporter l’argent ; si tu ne te décides pas, j’irais porter plainte à la gendarmerie. J’ai toujours pensé que tu tournerais mal. Allez, file, hors de ma vue petit voleur ! »
Je file comme il dit. J’ai mon cœur qui bat à grands coups dans ma poitrine. Je n’ai plus de pensée dans la tête, tellement ça se bouscule. Je vais m’enfermer dans les chiottes du collège, à l’abri des regards et je pleure, et je pleure ; je me demande si ça s’arrêtera tellement je suis triste ! Je ne suis pas un voleur ! Si je pouvais, je le tuerais ce salaud, de penser ça ! Il m’aime pas ce type, j’sais pas pourquoi : je lui ai rien fait ! Une fois, devant toute la classe, il a prédit que je finirai voyou. Je ne vois pas pourquoi je ne serais pas un type bien ? Qu’est-ce qu’il y a de si mauvais en moi ? Je sais bien que je n’ai rien fait, je n’ai jamais volé, même dans le sac de maman... pourtant, je pourrais... je demande quand j’ai besoin de sous, et puis j’ai mon argent de poche. Oui, mais il y a ma montre qui m’accuse et Barjo qui tient à ce que ce soit moi, et les gendarmes qui me font peur. Les gendarmes qui vont venir à la maison embêter maman. Maman qui me fait confiance, maman qui me défendra quoiqu’il arrive... maman qui aura peut-être un doute, vu qu’il n’y a que ma parole... la parole d’un gosse cela ne pèse pas lourd, je le sais bien, face aux adultes, face à Barjo, face aux gendarmes. Il y aura toujours cette petite blessure quelque part entre nous... j’aurai beau jurer sur la tête de tous ceux que j’aime, j’aurai beau pleurer... ma parole vaudra pas cher... la parole d’un gamin de treize ans contre celle d’un enseignant... Faut que je rapporte du fric, même si j’ai pas volé, sinon les gendarmes vont venir à la maison et tout le village le saura et tout le monde me montrera du doigt ! Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ?
Je traverse la place à l’ombre des arbres. Il doit être quatre heures : l’heure du goûter pour les petits et de la fin de la sieste pour les vieux. Il y a des joueurs de boules qui «s’engrènent» à propos d’un point, il y a des gens qui consomment à la terrasse du café, il y a mon cœur qui donne de grands coups dans ma poitrine.
Je croise Martin, Jocelyn et Karim dans la rue qui monte vers chez moi. Je dis « Salut ! » Karim est le seul à me répondre. Les deux autres me regardent comme si j’étais un martien, ils semblent gênés. Je continue mon chemin en haussant les épaules. Je les entends qui chuchotent. J’entends le mot « voleur ». J’entends mon cœur qui bat. Le Barjo a fait ma pub, je ne suis plus Laurent le petit mec sympa, je suis Laurent le sale petit voleur ! Je pleure de rage, je marche à toute vitesse vers la maison pour échapper à tous ces yeux, à toutes ces langues, qui se trompent si facilement sur mon compte ! Demain jeudi, tout le monde saura. Je n’aurai plus de nom, je ne serai plus qu’un voleur !
Je rentre à la maison. Il n’y a personne. Dans la chambre des parents, il y a un tiroir. A l’intérieur, sous le linge, il y a une boîte sombre. Parfois, il suffit de chercher. Parfois les choses sont si simples. Le Barjo aura ce qu’il désire ce soir ! J’emballe vite fait mon larcin dans une taie d’oreiller qui sent bon la lavande.
D’un coup de vélo - surtout que ça descend - me voilà de retour à l’école. Par la fenêtre, j’aperçois le Barjo dans la classe. Il n’est pas seul : il y a les gendarmes. Le salaud, il n’a pas perdu de temps ! C’est sans importance : je détiens la réponse. Comme dans un film au ralenti, j'entre dans la pièce ; personne ne me voit : ils sont trop occupés à discuter. Leurs voix bourdonnent dans mes oreilles, je ne comprends pas ce qu’ils disent, je suis ailleurs... Me voilà au milieu de la salle et j’attends. Les paroles se sont tues, les deux gendarmes et Barjo me regardent. Je déballe mon paquet. Le linge blanc tombe à terre dans un souffle odorant. Ils m’observent, la bouche ouverte, sans rien dire. Je me dis :
«Que c’est beau, le silence ! »
Dans ma main, je tiens l’objet noir et lourd. Bientôt il est contre ma tempe.
J’entends des cris de stupeur et puis j’entends mon cœur qui bat.
Je pense à tous ceux que j’aime et puis il y a ce sacré boucan qui explose dans ma tête.
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